Albert Collins, the master of the telecaster, branche sa guitare sur un ampli toulousain !
Comment Richard a sauvé le concert toulousain d'Albert Collins le 12 décembre 1980.
12 décembre 1980, Albert Collins en concert à l’Éden. Ou comment la rencontre fortuite d’une Telecaster et d’un amplificateur Peavey a bousculé les plans d'un bachelier fraîchement diplômé.
En 1980, Albert Collins, bien que ne se nommant pas King, comme Albert, BB ou encore Freddie, compte déjà parmi les rois du blues aux États-Unis. Cependant, en Europe, peu d'amateurs de ce genre musical ont entendu parler de lui. Pour ma part, et je pense pour beaucoup de ceux qui ont assisté à son premier concert toulousain, c'est l'émission de télévision d'Antoine de Caunes diffusée sur Antenne 2, "Chorus", qui a permis la découverte d'Iceman, surnom du guitariste et chanteur natif du Texas.
Chorus, à l'heure du déjeuner, le dimanche (Quel horaire et quelle horreur ! Cause de trop nombreux conflits familiaux dominicaux), a indéniablement contribué à enrichir ma culture musicale ainsi qu'à la dépense de mon argent de poche en disques et en places de concert, au lieu de livres, fringues et rendez-vous coiffeur qui auraient dû être sa finalité. Hé oui, la télé comme source de découverte ! Mais pas uniquement. D’autres moyens s’offraient à nous pour échapper au hit-parade et percevoir de nouveaux horizons musicaux : les copains bien sûr, le mensuel Rock & Folk, FIT (actuellement FIP) radio que l'on appelait pour connaître le nom du disque en cours de diffusion (et causer directement avec la dame qui passait dans le poste et dont la voix ne laissait pas indifférents ses fidèles auditeurs), les boîtes de rock, comme l'Enfer, le Chat-Huant ou le Pied, les disquaires bien sûr (je pense à Music Action rue des Lois ou encore à une boutique dont j'ai oublié le nom, près du marché Victor Hugo, derrière les Variétés).
Coup de téléphone après l'émission à un copain pour vérifier que la « claque » prise à l’écoute du bluesman et de ses Icebreakers était partagée puis, décision unanime de sacrifier une partie des sous qui devaient aller aux cadeaux de Noël pour acheter nos billets pour le concert toulousain d’Albert annoncé en fin de Chorus. À 21 h, nous sommes très nombreux devant la porte de l’Éden, un cinéma aujourd'hui disparu du quartier Saint-Cyprien dont l’Éden-Bar, établi sur son site au 9 rue Étienne Billières, tente aujourd’hui d'entretenir le souvenir.
Alors que nous affrontions le froid et que le concert accusait un retard important, certains dans la foule commençaient à regretter de ne pas être allés aux Nouveautés ou au Trianon voir Monty Python, Shining, Tendre cousine, les Blues Brothers ou encore, la Cité des femmes. Enfin, l'organisateur (Christian Duniague, coiffeur de son état et grand amateur de jazz et de blues) sort, mais pour annoncer une mauvaise nouvelle : le concert est annulé car "on" a perdu l'ampli d'Albert. Heureux propriétaire d'un ampli Peavey dont je tentais de tirer le meilleur en titillant une guitare Ibanez, je proposai alors de prêter mon précieux objet sous les applaudissements du public soulagé. Bien qu’Iceman ne jurait que par le binôme Telecaster/ampli Fender Quad Reverb, le maître accepta immédiatement de jouer sur mon ampli récemment arrivé du Mississippi.
Christian Duniague, m'embarqua dans sa voiture pour récupérer la bête qui, ma foi, sur scène, avait vraiment de la gueule. C'est avec beaucoup de fierté (et un peu d'appréhension pour ses fragiles lampes) que je confiais à Albert Collins le fruit de mes derniers jobs d'été. Durant tout le concert, je n'en revenais pas ! C'était comme si l'ampli avait été débridé : il distillait un son d'enfer, une pêche mémorable à la moindre note agressive, une plainte contenue, mais bien présente pour les "slow blues".
Après le concert, Christian Duniague a emmené Albert et ses musiciens (ceux de l'album "Frostbite") au Club Saint-Germain, une boîte de jazz qu'il venait d'ouvrir rue Jules Chalande. Mon anglais scolaire (et son accent texan) n'a pas permis un échange particulièrement riche avec Albert Collins. J'ai cependant le souvenir de son amabilité, de sa simplicité et de ses remerciements chaleureux pour le prêt de l'ampli dont les ampoules étaient en train de refroidir dans un coin de la boîte (de jazz). Dans les mois qui ont suivi, j'ai contribué aux côtés de Christian à la venue au Club Saint-Germain de Harry Sweet Edison, de Joe Newman, de l'orchestre de Count Basie au Capitole (sans le Count), de BB King à la Halle aux Grains ou encore de Billy Cobham puis, Illinois Jacquet au Ramier.
Un peu moins d'un an après la soirée à l’Éden, alors que je me trouvais un peu par hasard dans les locaux de TSF 102 qui venait de commencer à émettre, je discutais musique avec son responsable, Maxime. Après avoir échangé sur le jazz, Maxime me dit: « Nous voudrions faire plus d'interviews pour l'antenne, mais c'est difficile d'aborder les artistes, par exemple, Albert Collins passe bientôt au Théâtre du Taur et... » ; je le coupe et lui dis "Mais je le connais Albert !" Maxime enchaîne en me proposant d’animer l’émission de jazz qui manquait à la programmation ; vous connaissez la suite.
Ah oui : qu'est devenu l'ampli Peavey ? Je l'ai cédé à Greg qui, je le sais, en a fait un excellent usage.
Richard Reclus
Frostbite sorti en 1980
La Dépêche du Midi du 12 décembre 1980